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Tu es enceinte? Quelle bonne nouvelle ! - Et si ça n'en était pas une?

Les grossesses non-désirées : un vilain tabou... non! un déni complet!

Il existe un espèce de consensus social hypocrite autour de la grossesse : c'est TOUJOURS une bonne nouvelle! Ainsi, si une femme annonce qu'elle est enceinte, on lui répond d'emblée : "Félicitations!" ou "Je suis super contente pour toi!" ou encore "Quelle bonne nouvelle!". Un peu comme, quand une personne nous annonce un décès dans sa famille, on fait une face triste et on articule un "je suis désolée" ou "mes sympathies" ou encore "je t'offre mes condoléances". Dans les deux cas, on présuppose des choses dont on ne sait rien. Pour certaines personnes, la mort d'un proche est un soulagement : la personne souffrait (maladie, perte d'autonomie) ou la personne a causé d'énormes souffrances à ces proches (abus, manipulation, violence). Pour certaines femmes enceintes, la grossesse n'a rien de réjouissant... et les sentiments envers le bébé à venir peuvent être ambivalents.

Pourquoi ne pas simplement demander : "Tu es enceinte? Comment te sens-tu?" et attendre que la personne réponde : "Je suis tellement contente!" ou "Je ne sais pas trop, je ne m'y attendais pas" ou encore "ben, je suis pas certaine que je vais poursuivre...".

Vivre une grossesse non-désirée nous met en face de ce consensus hypocrite et révèle aussi ses failles. Il s'en suit, à chaque annonce du pourquoi je dois manger maintenant ou pourquoi je m'éloigne et me couvre le nez, que les gens réagissent en me félicitant, ce qui crée un grand malaise. Puis j'explique que je vis une grossesse non-désirée et que c'est difficile vu que je suis très malade enceinte. Les gens me regardent alors généralement avec un profond étonnement, comme si j'étais anormale, alors que je suis si sincère!

Trois choses ici :
  1. On fait semblant que les grossesses sont toujours prévues et toujours désirées. On se dit que, même si ce n'est pas le cas pour toutes les femmes, ce doit être le cas de la majorité, aujourd'hui, alors que la contraception existe et que l'avortement, en cas de "problème" est possible. On ignore superbement la réalité de la maternité! On joue les Hommes civilisés qui contrôlent la nature!
  2. On fait semblant que les grossesses sont faciles et que les "petits" désagréments sont vite oubliés, alors que les grossesses ont de multiples impacts et laissent des séquelles à long terme. Faciles pour certaines femmes, elles sont à peu près toujours exigeantes... et pour certaines, carrément invalidantes.
  3. On fait semblant que la société fournit les aménagements et dédommagements nécessaires pour les vivre dans la joie. On nie le fait que la société sanctionne sévèrement la maternité de plusieurs manières.
Bref, on nie l'exclusion et l'isolement vécus par les femmes, les nombreuses atteintes à leur liberté, la perte de leur autonomie et de leur indépendance ainsi que les conséquences négatives à court, moyen et long termes. De plus, on empêche les femmes d'exprimer leur mécontentement ou même simplement de constater ces faits comme étant réels dans notre société patriarcale.

Il s'agit, par ce simple "félicitations, quelle bonne nouvelle!" de l'imposition d'une double contrainte : tu dois être contente d'être enceinte parce que porter la vie est une chose merveilleuse (c'est écrit dans le ciel du patriarcat), et, tu ne dois pas te rendre compte que ça te désavantage beaucoup et pour toujours dans l'organisation du monde actuel.

On rappelle même, gentiment, aux femmes enceintes, que tous ces petits maux ne valent rien comparé au fait de mettre au monde un beau bébé en santé (dit avec le plus beau des sourires Crest - ce qui est le corollaire du "le plus important est que ton bébé soit en santé" rappelé à une femme ayant accouché qui se plaindrait qu'on lui a charcuté le corps et qu'on lui a retiré toute sa dignité lors de son accouchement).

Mythe # 1 : la grossesse est, le plus souvent, désirée et planifiée.


Selon des estimations, 40 % des grossesses seraient imprévues au Canada. C'est presque la moitié des grossesses! De ce nombre, la moitié conduira à une interruption volontaire de grossesse (avortement) et l'autre moitié sera menée à terme et conduira à un bébé.

Pourtant, on n'entend rarement une femme dire : c'est une grossesse imprévue. Bon, en fait oui, je l'ai entendu, dans des discussions intimes entre femmes. Mais un couple annonçant la venue d'un enfant en disant que "c'était une surprise"? Non, jamais.

Pis encore, on n'entendra jamais une femme annoncer sa grossesse en disant : "Je compte l'interrompre, je ne souhaite pas avoir un enfant [ajouter la raison de votre choix : maintenant, avec lui, sans conjoint-e, dans ce contexte, vu mes projets actuels, etc.]". L'avortement est si tabou! On sait que pour 100 naissances, il y a 29 avortements au Canada. Mais faudrait surtout pas le dire. En gros, ça veut dire que pas mal de femmes en ont vécu. Qui en parle? Ouvertement? Même plus de 40 ans après le Manifeste des 343 femmes qui avaient osé dire ouvertement, en 1971, qu'elles s'étaient faites avorter pour réclamer une dépénalisation et une légalisation de l'avortement sécuritaire et accessible!

On fait un terrible déni sur le contrôle de notre sexualité et de notre fertilité. On fait semblant que les méthodes de contraception actuelles, TOUTES centrées sur le corps de la femme dans le cas des méthodes chimiques/hormonales - la femme qui n'est fertile que 24 à 48 h par mois, contrairement aux hommes qui sont fertiles 100 % du temps - sont infaillibles. Pourtant, des fiabilités entre 80 % et 99 % selon les différents contraceptifs, ça en fait pas mal qui tomberont enceintes malgré leurs précautions! et pas mal d'hommes qui vont procréer sans l'avoir voulu!

De son côté, l'homme qui ne souhaite pas d'enfant (pour l'instant ou pour de bon) est pas mal limité dans ses choix : il n'existe que la capote! Tant pis si tu aimes les rapports "au naturel"... tu vas devoir te fier sur une autre personne pour t'assurer de ne pas procréer... ou alors aller vers une méthode finale comme la vasectomie. Parce que si l'homme procrée, il ne lui appartient pas le choix de poursuivre ou non la grossesse (et les raisons en sont légitimes, malgré un article masculiniste épouvantable sur la "paternité imposée" sur Wikipédia, dont l'auteur mascu crie au complot féministe et nie le droit des femmes de disposer librement de leur corps, même une fois enceintes!). Il semble pourtant que les hommes (qui développent les contraceptifs) ne s'en préoccupent pas trop. Est-ce parce que, de toute façon, ils peuvent encore trouver des façons de ne pas payer pour l'enfant, de ne pas se faire reconnaître comme père ni d'en prendre soin? Anyway, sur le fond, je suis d'accord : le spectre des possibilités en matière de contraception masculine est médiocre et retire aux hommes leur responsabilité face à la conception d'un enfant, face à leur rôle de géniteur.

Cette situation est inacceptable, mais elle continue de prévaloir : la responsabilité de la contraception incombe à la femme ainsi que les conséquences sur sa santé et son corps (voir les multiples risques des différentes méthodes de contraception ici ou ici; en général, les sites d'information ne parlent que de l'efficacité contraceptive sans nommer les risques, ce qui est une désinformation outrageuse!).

Une fois que la femme choisit de poursuivre sa grossesse, elle est réputée désirer l'enfant et être heureuse de son état / de la situation. On peut donc lui lancer un "félicitations" en toute ignorance de cause!

Conséquemment, on devrait toutes être contentes d'être enceintes, puisque c'est toujours un choix!

En vérité, on n'imagine pas une grossesse non-désirée. On est incapable de le faire. On imagine une grosse imprévue ou surprise, mais une grossesse que la femme choisit de poursuivre même si elle ne l'a pas désirée? Impossible! L'avortement existe!

Fait-on semblant que l'avortement est un choix facile? Même si on sait tout le tabou dont il est entouré, même si on sait que l'on vit dans une société dont les valeurs judéo-chrétiennes autour de la vie prévalent encore, même si on a entendu les discours pro-vie scandalisés, complètement dénués d'une analyse sociologique et encore moins féministe sur le sort funeste des enfants dont on a forcé la naissance et sur celui des femmes dont on force le corps à poursuivre malgré tout une grossesse non-désirée? Non, on sait que l'avortement est un choix souvent difficile, mal accompagné, tabou, une expérience réduite au silence et aux jugements.

Pourquoi faire semblant que toutes les femmes pourront ou voudront y avoir recours en cas de grossesses non-désirées? Pourquoi ce déni de la réalité de la naissance : la vie fait souvent son chemin malgré nous, malgré tout! Nous sommes des êtres de nature qui ne contrôlons pas nos corps! On joue tellement à la société civilisée et avancée! C'est d'un grotesque ridicule! Pourtant, c'est en faisant ce geste animal (parfois bestial) millénaire de l'accouplement que la plupart d'entre nous se reproduise!


Mais nous, les humains, on veut faire semblant qu'on n'est pas des animaux. Nous, on planifie, on organise, on contrôle. Il est commun d'entendre dire : "On s'essaie pour un bébé, là". J'ai envie de dire que ces couples représentent plutôt la proportion de couples moins fertiles qui auront peut-être besoin de soutien médical pour la procréation, mais je n'ai pas de données pour appuyer cette hypothèse. Je la laisse donc telle quelle. Cette représentation du couple fondant une famille est valorisée : ce sont les couples "à leur affaire". Ceux qui prévoient. Ceux qui sont en contrôle.

D'un autre côté, si on annonce une grossesse alors qu'on n'a pas réuni les conditions jugées idéales pour l'éducation des enfants - un couple stable, une maison, les études terminées -, on se fait demander : "Est-ce que c'était prévu?". Façon amicale de demander si c'est un "accident". Et être un "accident" est quelque chose supposé comme négatif. Ça sous-entend qu'on n'a pas désiré l'enfant, parce qu'on n'a pas eu l'occasion de cibler notre jour d'ovulation pour avoir un rapport sexuel de conception prévu. Mais en quoi "tomber" enceinte est-il négatif?

Là, ça devient carrément ironique! Tu tombes enceinte sans le vouloir : c'est toujours négatif. Tu annonces ta grossesse : c'est toujours positif. Au moins, soyez cohérent-e-s! Et ma vision toute personnelle de ce qui se passe dans mon corps? Aucune place.

Une femme doit-elle se sentir coupable de sa fertilité? ou de sa sexualité active? J'ai entendu des commentaires parfois si peu empathiques pour celles qui vivent une grossesse non-désirée. "Dire qu'une telle est enceinte et qu'elle n'est pas contente alors que moi, c'est tout ce que je voudrais!". Postuler que toute personne réagira de la même manière dans des contextes très très différents (grossesses non-désirée versus difficultés reproductives) est une réaction de jalousie puérile et, pour la personne visée, un déni de son vécu négatif par rapport à la grossesse. C'est presque mesquin... ou alors, c'est d'une immaturité déconcertante! (et pourquoi on se fait ça, entre femmes, déjà?)

En même temps, comme on est supposée être contente de porter la vie (ou le désirer ardemment si le projet n'est pas possible maintenant), la personne qui se fera le plus juger ne sera pas celle qui désire devenir mère... mais celle qui le refuse. La fausse-femme qui ne respecte pas son destin biologique et qui se permet d'avoir une sexualité hétérosexuelle (de s'exposer aux risques). La déjà-assez-mère qui n'en veut plus un autre : elle "devrait laisser la chance aux autres" (commentaire déjà entendu - comme si les bébés conçus de façon non-désirée étaient retirés de l'utérus des mères qui les désiraient! - comme si la femme avait voulu en priver une autre en vivant cette situation qu'elle ne veut pas vivre!).

Mythe # 2 : Les petits désagréments de la grossesse sont vites oubliés

Celui-ci me fait grincer des dents. Non seulement il est le plus souvent dit par des femmes à d'autres femmes (mais il est aussi écrit dans les livres sur la grossesse et représenté dans les médias ainsi que dans la production culturelle, laquelle est surtout le fait d'hommes), mais il est dit comme une obligation au silence ou comme un déni. Si on se plaint, on est classée parmi les frustrées de la maternité, même lorsqu'on la vit, somme toute, positivement. Ces monstres qui ne savent pas apprécier ou, petite pointe, qui n'étaient peut-être pas faites pour vivre la maternité (sous-entendu qu'elles ne correspondent pas à la féminité, que ce ne sont pas de vraies femmes - en plus, elles doivent être féministes!). C'est le corollaire du "si j'ai mis des enfants au monde, c'était pour m'en occuper", souvent entendu pour critiquer ces égoïstes de mères qui osent envoyer leur enfant à la garderie (peu importe le contexte qui justifie ce choix et les différences socio-économiques qui permettent aux unes de se libérer du temps et qui ne le permet pas aux autres).

À tel point que, quand une femme vit une première grossesse, il n'est pas rare de l'entendre constater : "Je ne savais pas du tout que c'était ça être enceinte... je n'imaginais pas autant de changements en moi, autant d'énergie à donner, autant de sacrifices". Ben oui, il existe une espèce d'habitude sociétale dont le but est de taire les réalités de la grossesse.

Les livres de puéricultures, dans les chapitres traitant de la grossesse, emploient des termes qui minimisent la réalité : "petits maux de grossesse", "certaines femmes ont des nausées, il suffit généralement de manger un peu avant de se lever pour les calmer", "reposez-vous le plus possible, lors d'une pause au travail ou en rentrant le soir à la maison", "demandez à votre conjoint de vous aider avec les tâches ménagères" (que vous ne partagiez pas encore, bien sûr!). On peut en lire partout sur les sites traitant de la grossesse : "La grossesse est un moment de bonheur, mais elle est quelquefois gâchée par des petits tracas" (Auféminin.ca - il y a l'impératif d'être heureuse et l'atténuation de la réalité). "Les nausées, si elles se manifestent, interviennent principalement au 1er trimestre de la grossesse et disparaissent au plus tard à la fin du 3ème mois" (PasseportSanté.net - les nausées disparaissent pour toutes les femmes! tant pis pour les nombreuses anormales qui dépassent ce délai!). En atténuant ainsi le vécu de la grossesse et toute son exigence physique et mentale, on nous fait passer pour des folles puisque nos réactions ne peuvent qu'être disproportionnées si la réalité correspond à ce qu'"ils" disent! 

Je préfère nettement ceci : "Si votre partenaire, un membre de votre famille ou une amie souffre de nausées, voici ce que vous pouvez faire pour l’aider : Les nausées ne font pas partie de son imagination. Elles sont réelles, désagréables et très courantes chez les femmes enceintes. Les
nausées touchent 85 % des femmes" (MotherRisk.org).

De fait, plusieurs discours psychologisent les symptômes négatifs ou difficiles de la grossesse. J'en ai entendu dans mon entourage, mais également chez des professionnel-le-s de la santé. "Rejet inconscient du bébé", "Non-acceptation de la grossesse", "Non-acceptation de sa féminité", comme si c'était toujours de la faute de la femme! Personne ne penserait à psychologiser une gastro... C'est un affront épouvantable à l'intelligence en plus de nier le vécu de la femme enceinte et de lui refuser l'empathie qu'on donnerait à toute personne souffrant de nausées et vomissements. "Les personnes qui souffrent de nausées et de vomissements se sentent toujours très mal, même sans être enceintes. Malheureusement, il est possible que certaines personnes ne prennent pas votre état au sérieux. Cela peut entraîner un sentiment de colère et d’isolement." (MotherRisk).

On nous place un peu dans un contexte de performance : on doit réussir sa grossesse... et réussir, ça veut dire avoir l'air épanouie comme jamais. Parce que c'est bien connu, la grossesse rend lumineuse : le teint, les cheveux, les ongles! Quelle joie! Entre deux nausées, je regarde mes ongles et je me sens si heureuse! (lisez le sarcasme).


Rares sont les livres ou les sites qui mentionnent des chiffres basés sur la recherche. De toute façon, on est trop concombres, nous, les femmes enceintes, pour comprendre les pourcentages. Et puis, la grossesse, c'est si merveilleux! Pourquoi s'empêtrer dans la recherche et les chiffres compliqués?

Tout le monde me répète que les nausées devraient cesser bientôt... à une quatrième grossesse et rendu à 33 semaines, vous souhaitez toujours vous rabattre sur des croyances plutôt que sur l'expérience que j'en ai? À combien de grossesses, je deviens crédible pour parler de moi-même et de comment je vis la maternité dans mon corps? (oui, le ton est irrité)

Au cinéma et à la télé, comme ce monde appartient surtout à des hommes, c'est leur imaginaire ou leur vision de la grossesse qu'ils mettent en avant-plan : vision sexiste de surcroît. Ainsi, ils ridiculisent la maternité : affaire de caprices, les difficultés à s'alimenter enceinte sont tellement drôles! La femme a des envies soudaines, on dirait qu'elle est hystérique! Ses émotions sont à fleur de peau, elle s'émeut devant rien (comme si d'énormes changements dans sa vie et dans son corps n'étaient pas en train d'avoir lieu...). Les envies de vomir sont soudaines et un simple aller à la salle de bain suffit à tout remettre en place. Ils n'ont jamais eu à dealer avec des heures de nausées durant lesquelles chaque petite odeur peut à tout moment faire remonter le maigre repas qu'on a réussi à avaler! Ils n'ont jamais vu des yeux entourés de petites veines brisées à force de vomir... C'est si cute, une femme enceinte (dans le sens de petit chien à froufrou ridicule)! Et ça accouche toujours en perdant les eaux dans un endroit inattendu, en hurlant ensuite dans un taxi pour aller à l'hôpital et en grognant 2 minutes, couchée sur le dos, pour finalement que le médecin sorte le bébé en annonçant le sexe et que le père, toujours personnage principal des films/séries, fasse quelque chose de loufoque et de généralement immature (qu'il n'exprime pas d'émotions, surtout).

Notre culture a de quoi nier la condition des femmes, en particulier des mères et en particulier des femmes enceintes. Notre culture a de quoi mal nous préparer à ce rôle. En conséquence, une femme qui vit des maux qu'elles ne jugent pas "petits" se sent anormale. Une femme qui n'est pas épanouie, enceinte, se sent anormale.

Maintenant que je parle ouvertement de mon vécu négatif enceinte, plusieurs femmes me disent "moi non plus, je n'ai pas aimé être enceinte". Les autres nous perçoivent aussi comme anormales et tentent à tout prix de trouver la solution miracle qui nous fera vivre notre grossesse conformément à ce qui doit être (à ce qui est prévu dans nos croyances négationnistes patriarcales!). La maternité, c'est un acte si naturel, que c'est forcément facile! Et comme ce sont les femmes qui le font, c'est sûr que c'est super facile! Autant que s'occuper d'enfants, tout le monde peut le faire! (croyances sexistes très répandues et fondées généralement sur l'ignorance et sur les mythes)

Surtout, être cette femme enceinte heureuse et épanouie! 11e commandement. Surtout, ne pas avoir l'air d'être en train de fabriquer un bébé avec toute l'énergie et les inconforts que ça commande. 12e commandement. Surtout, rester productive (commandement capitaliste machiste, puisque la maternité est une forme de production). Une mine d'or pour les compagnies pharmaceutiques dont les produits sont destinées aux femmes enceintes!

Enfin, j'ai traité surtout de nausées, mais j'aurais pu parler des "souvenirs" de la maternité laissés sur le corps : peau d'orange, vergetures, modification de l'aspect des seins, déchirure/s de la vulve, parfois du périnée, incontinence et/ou rééducation périnéale (à nos frais). Ces souvenirs ne sont pas tous négatifs. Ce sont des traces de la maternité que beaucoup de femmes conservent et que la société photoshope et cache pour entretenir une image de femme-jouvencelle peu importe son âge et son vécu (et dont Airoldi se fait un devoir de soumettre à l'inquisition).

Certaines femmes vivent avec des corps et des expériences de blessures à la suite d'une grossesse qui leur demandent de faire un processus de guérison ou de vivre un deuil : épisiotomie, non-respect de l'intégrité et de la dignité par le personnel soignant, infantilisation au moment de l'accouchement, interventions inutiles ou trop empressées, interventions sans consentement, déchirures profondes, etc.

Mais on est supposée tout oublier après avoir reçu le bébé dans nos bras, comme on est bêtes! Pourtant, ça m'a pris 2 ans pour me remettre de mon premier accouchement tant j'étais comme un animal blessé à la suite de la dépossession de mon corps et de mes moyens que j'y ai vécue et de ma confiance brisée dans mes capacités de femme. En me remémorant le contexte, je me suis pardonnée et j'ai compris que j'ai alors fait de mon mieux.

Comme la société ne reconnaît ni l'étendue ni la diversité des réalités de la grossesse, comment y serait-elle accueillante et adaptée??? IMPOSSIBLE!

Mythe # 3 La société fournit les aménagements et dédommagements nécessaires pour vivre la grossesse dans la joie

Quand on pense que le personnel médical continue de proposer aux femmes d'accoucher en position couchée ou semi-assise, alors que ces positions ont été démontrées comme nuisant à l'accouchement en altérant le processus naturel soutenu par la gravité et la mobilité du sacrum et en augmentant les risques et le nombre d'interventions médicales (voir "Une naissance heureuse" d'Isabelle Brabant), on se dit qu'on est vraiment loin d'une société adaptée aux femmes enceintes et aux mères.

Quand on pense au fait que les livres écrits par des spécialistes nous mentent au sujet des symptômes de grossesse vécus par les femmes, on se demande : qui reconnaîtra notre réalité?

Quand on pense aux pauvres bébés sur lesquels des pseudo-spécialistes-auto-proclamés écrivent des mensonges honteux, alors que leur formation/compétences équivalent à la crédibilité de mon oncle Jean-Louis (faux nom) sur l'éducation de mes enfants (ben oui, je parle de Brigitte Langevin et de sa méthode du sommeil!), on se dit que ce n'est pas pour demain la grande révolution féministe pro-maternité-intégrée-dans-la-société! (voir ma liste bibliographique à ce sujet!)

De fait, devenir mère est source de sacrifices. C'est de l'abnégation. Pas juste parce qu'on ne contrôle plus quand on mange et quand on dort, mais surtout (et c'est ça qui est injuste), parce que la société nous exclut et nous sanctionne durement pour longtemps. On perd certaines occasions de travail ou de contrat; notre profil ne correspond plus à celui recherché (une personne disponible, présente, qui s'absente peu et qui n'a pas d'horaires ou de contraintes); notre mode de vie est incompatible avec le monde du travail ou des études, les aménagements sont insuffisants (55 % du salaire en congé parental, VOUS VOULEZ RIRE??? pour une telle contribution à la société! non, mais! qui a négocié ce contrat de merde???); les services de garde sont peu souples, peu flexibles et peu accessibles; les emplois à temps partiel, plus intéressants pour nous libérer du temps pour les obligations familiales, sont plus précaires et nous privent des avantages sociaux ou des bénéfices du temps plein ou encore d'une assurance salaire en cas de maladie prolongé ou d'invalidité. Bref, tout concours à nous brimer alors même qu'on donne le meilleur de nous-mêmes pour élever des enfants avec tout ce que ça demande (voir le documentaire The Mother Load à ce sujet)!

Ces faits sont niés ou minimisés sous prétexte que donner la vie est si beau. On nie le fait que la société sanctionne sévèrement la maternité de plusieurs manières, que le monde du travail - principal lieu de valorisation dans notre société selon les sociologues - est inconciliable avec la réalité maternelle et les soins aux enfants et que les espaces publics sont des lieux d'exclusions des enfants et des bébés par leur caractère inadapté à ces "clientèles" ou par la segmentation des clientèles (les personnes âgées ici et les mamans-bébés là, et seulement là, et seulement à cette heure-ci et seulement de cette manière). 

Si être mère, c'est le plus beau métier du monde, si c'est merveilleux, si c'est "félicitations, quelle bonne nouvelle!", pourquoi organiser une société inconciliable avec la maternité? 

C'est un double-discours. Pourquoi nous priver et nous disqualifier de l'atteinte des objectifs de performance, lesquels sont fixés pour les personnes sans enfants ou lesquels avantagent les hommes dans la famille, parce que ceux-ci ne vivent ni grossesses, ni accouchements, ni postnatals, ni allaitements et que leur implication, même pour les "nouveaux pères", demeure en-dessous de celle des mères?

Pourquoi nous placer dans des situations de précarité ou de dépendance face à un conjoint en refusant de dédommager correctement notre apport (re)productif à la société par la gestation, la mise au monde (et tous les risques encourus) et les soins aux enfants ainsi que la charge de la famille (mentale et souvent invisible) et encore trop souvent du domicile familial?

Pour ma part, parce que je ne pouvais pas être enceinte, avec mes maux de grossesse intenses, et poursuivre mes études à temps plein, j'ai perdu mon salaire, en plus d'une occasion d'emploi et j'ai dû payer des frais de 300 $ pour annuler mes cours pour des raisons de maladie. Chouette! Je suis tombée à la charge de mon conjoint, jugée invalide malgré mon occupation 24 h sur 24 à créer la vie. J'essaie de ne pas me sentir amère.

Ainsi, si une femme ne peut pas poursuivre ses occupations COMME SI ELLE N'ÉTAIT PAS ENCEINTE tout en étant enceinte, elle est punie, exclue, isolée, renvoyée à la charge d'un conjoint ou dans une situation de précarité outrageuse compte-tenu de son occupation si grandiose.

Les aménagements, que ce soit les "congés parentaux" accordés par certaines bourses d'études ou le régime québécois d'assurance parentale (RQAP), favorisent l'exclusion en ne permettant que du tout (temps plein, retour au travail/études) ou rien (à la maison en charge de bébé) sans possibilité plus flexible (retour à temps partiel pour un nombre de semaines) ou mieux adapté à la réalité avec des bébés et bambins.

De plus, ils favorisent un traitement inéquitable entre les hommes et les femmes en ne reconnaissant pas ou si peu la grossesse. De fait, 18 semaines de congé de maternité pour une grossesse de 40 semaines, c'est plate. Surtout que tu perds du temps avec bébé si tu les prends pendant ta grossesse parce que tu n'en peux plus de te surmener! Et que font les femmes qui sont très affectées, voire invalidée, par leurs symptômes de grossesse? Dans le meilleur des cas, elles tombent en congé-maladie, dans le pire, n'ayant pas accès à un tel congé rémunéré, elles ENDURENT. Du côté de l'aide financière aux études (pour les étudiant-e-s), comme elle offre le même traitement aux hommes et aux femmes ayant des enfants de moins de 6 ans, on peut dire qu'elle nie complètement les conditions particulière d'une grossesse, d'un accouchement, d'un postnatal et d'un allaitement. C'est la totale! Que tu sois le père d'un enfant de 4 ans ou que tu sois enceinte et que tu accouches, tu as droit à ton petit 4 mois de congé avec une très faible rémunération (700 $ par mois... ayoye, souvent une dette à rembourser plus tard, en plus). 

Plusieurs femmes arrivent, au péril de leur santé physique et mentale, à mener toutes leurs occupations sur tous les fronts. Certaines n'ont pas le choix (je pense aux étudiantes étrangères qui vont perdre leur visa d'études si elles ne sont pas inscrites à temps plein). Si les hommes vivaient la grossesse dans ces conditions, aucun d'eux n'y arriveraient. Ne disent-ils pas tous d'emblée qu'ils ne pourraient jamais porter des talons hauts toute la journée? Alors une grossesse...

En même temps, si les hommes portaient les bébés, la situation serait certainement très différente et toute l'organisation sociétale serait modifiée pour intégrer leur gestation et leur apport à la société dans un système économique et social qui les reconnaîtraient. Mais il ne faut surtout pas le dire ou le penser, car ça choque les hommes et ils s'attardent, dans leur mauvaise foi, à nier les inégalités entre les hommes et les femmes, uniquement sur cette petite affirmation provocante, profitant du coup pour nier tout le reste du texte et la situation globale des femmes enceintes, des mères, des bébés et des enfants dans une société mésadaptée à cette réalité pourtant si ordinaire et quotidienne (fait vécu de militance étudiante dans des groupes militants de gauche supposément féministes). Ce paragraphe est juste pour eux, les mascus-cachés-sous-de-faux-proféministes, pour qu'ils puissent rejeter tout mon texte du revers de la main.

Alors, comment on se sent quand on vit une grossesse non-désirée et qu'on se fait féliciter à tout vent?

Mal à l'aise. Niée. Tue. On se sent comme une impossibilité, une anormale.

Pourtant, on sait que les grossesses ne sont pas toutes planifiées; on sait que plusieurs femmes sont bien plus malades que ne le laissent croire les stupides livres de puériculture et que toutes ne vivent pas la grossesse de façon positive; on sait aussi que la société est sexiste et qu'elle désavantage en particulier les mères. On le sait. En plus, on le vit!

Mais personne ne semble le reconnaître. Tu rencontres une collègue de travail, tu n'as pas eu le temps de lui dire, mais elle l'a su par une amie commune, et elle te balance : "félicitations! J'ai appris la bonne nouvelle!". Tu avales de travers.

Tu racontes à un camarade de classe que tu es en train d'abandonner tous tes cours et que tu vis un énorme deuil... et il te lance "mais une grossesse, c'est toujours une bonne nouvelle!" Et tu as envie de pleurer... parce que lui, ça ne lui arrivera jamais.

Tu reçois un courriel d'une amie en études féministes qui, sachant pourtant tout ce que tu sais, te dis qu'elle est "heureuse pour toi". Heureuse de quoi?

Ta vie est chavirée. Ton corps est dans une tempête et tu as le mal de mer constant. Tes projets te filent entre les doigts. Des occasions qui ne se représenteront peut-être pas! Tu es malade comme un chien, invalide, incapable physiquement de faire face à tout ça.

Tu es ramenée à ton destin biologique de femme. Tu te sens trahie par ta sexualité hétéro, par ton couple, par l'amour que tu ressens pour ton conjoint. Tu dois en plus assumer certains commentaires se voulant humoristiques sur ton activité sexuelle (vu comme importante... comme s'il ne suffisait pas d'une seule fois).

Tu ne peux pas avorter parce que tu n'en es pas capable, tu sens que ça va te changer pour toujours, que ça ne fonctionne pas avec ta façon de voir les choses et d'accepter ce que la vie t'apporte parce que ce sont tes valeurs toutes personnelles. Parce que sinon, tu penseras toujours à ce 4e enfant que tu n'as pas eu. On te demandera : "tu as combien d'enfants". Et tu répondras 3, et dans ta tête "et j'en aurais eu un 4e". Tu ne peux pas le rejeter parce qu'il est arrivé tout de suite après le décès de la mère de ton chum... et parce que la 3e est née quelques jours après le décès de son père... que le "timing" est trop étrange pour ne pas y accorder une valeur. Tu ne peux pas avorter parce que ce bébé a été conçu dans l'amour et qu'à part être profondément malheureuse de voir tes projets échoués maintenant, tu ne sais rien de l'avenir et tu as toujours voulu une famille nombreuse, mais que tu ne pensais plus y parvenir vu ton état enceinte. Et ce bébé... tu l'aimes déjà, malgré tout (parce que tu as cette habitude d'aimer les êtres et les choses "malgré tout"). Tu ne juges pas celles qui avortent, tu comprends leurs raisons, tu es pour le libre-choix. Mais choisir, ça peut aussi être choisir de poursuivre... malgré tout.

Mais tu demeures ambivalente et chaque journée difficile te remet en question. Il t'arrive de regretter d'avoir choisi de poursuivre, quand c'est trop dure. Et tu t'excuses à ton bébé d'avoir une telle pensée. Tu lui expliques intérieurement que ça n'a RIEN à voir avec lui. Tu t'accroches à la joie immense que tes enfants éprouvent à l'idée d'accueillir un nouveau membre dans la famille. Ce sont eux qui t'aident à traverser la tempête. Tu pratiques la gratitude chaque jour en remerciant la vie pour ce qui va bien. Tu savoures chaque petit moment où tu as oublié tes inconforts ou bien où tu t'es senti juste "correcte". Tu fais du déni de grossesse le soir pour arriver à dormir sans penser que le lendemain sera aussi éprouvant que cette journée. Tu t'imagines faire une longue promenade, parce que tu es physiquement incapable de marcher plus de 200 mètres. Tu regardes les branches se balancer par ta fenêtre, parce que tu passes le plus clair de ton temps au lit. Tu es dans un moment "contemplatif" de vie et tu essaies de l'accepter, toi qui es généralement dynamique, fonceuse, pleine de projets sur différents fronts.

Tu as choisi de te laisser bercer par les vagues plutôt que de ramer en vain, parce que ça ne sert à rien et que c'est juste plus difficile. Quand tu tentes de faire des choses, tu te frottes constamment à tes limites et la conscience de ton invalidité te fait trop souffrir. Tu préfères lâcher-prise. Tu prends tout ce qu'on t'offre : des mots d'encouragement, des caresses, des massages, des colleux. Tu te fixes de petits objectifs : se rendre à l'Halloween, se rendre aux fêtes, se rendre au prochain rendez-vous avec la sage-femme. Tu attends le printemps qui a un sens très précis pour toi : celui de la DÉLIVRANCE. Et tu espères que les choses iront mieux après, parce que c'est l'espoir qui nous permet de traverser les épreuves.

Une grossesse, toujours une bonne nouvelle? Non merci. Il suffirait de demander à chaque femme enceinte comment elle se sent et de lui laisser l'occasion de dire ce qu'elle vit sans jugement, puis de reconnaître son vécu et de partager ses sentiments. Cessons de jouer les hypocrites.

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