Introduction – Cette
lettre a été écrite peu après l'assemblée générale qui a
précédé notre rentrée. Aujourd'hui, la lutte semble victorieuse,
tous les espoirs sont permis selon les plus récentes affirmations de
notre nouvelle Première Ministre qui nous plonge à nouveau dans
cette pénible attente que nous connaissons si bien. Cependant, comme
rien n'est encore officiellement gagné, je pense que le contenu de
cette lettre demeure pertinent. De plus, je souhaite de tout cœur
que les membres n'aient pas adopté la proposition visant à
restreindre leur liberté de faire des propositions à saveur
politique, réduire la portée de leur participation aux assemblée
générales et, par extension, les pouvoirs que se donnent
l'association; une proposition qui fait fi du caractère exceptionnel
du contexte qui a fait naître notre lutte et qui présuppose la
possibilité de circonscrire le champ de la littérature en l'isolant
complètement du milieu dans lequel celle-ci émerge et du milieu où
se déploient les étudiants.
Bonne lecture!
--
Québec, le 30 août 2012
À mes ami-e-s, collègues et
connaissances en littérature...
Chères
et chers ami-e-s littéraires,
Je
suis en colère, en colère noire. Je suis déçue aussi. Je me sens
trahie. Où est cette majorité galvanisée qui avait le courage de
ses convictions? Où sont-elles donc, ces convictions? À notre
dernière assemblée générale, tout s'est passé comme si le climat
social et politique avaient changé, comme si les raisons qui
motivaient notre grève et notre lutte n'existaient plus. Soudain, je
me sentais comme si j'avais imaginé le soulèvement et il
m'apparaissait impossible que ce soit la même cohorte qui se dépêche
de voter une fausse trêve dans une joie mal dissimulée.
Si
je vous écris, ce n'est pas pour vous faire la morale, pour présumer
de vos intentions ou pour vous demander de faire un examen de
conscience... vous connaissez mon dégoût pour ces procédés
rhétoriques très loin de l'argumentation et qui ne servent qu'à
générer des émotions négatives. Non, si je vous écris, c'est
pour me vider le cœur, pour pouvoir vous regarder en face à nouveau
et ne plus me sentir mal à l'aise.
J'ai
eu beaucoup de discussions étranges, en personne ou sur Facebook,
qui m'ont laissée pantoise (« pantoite », comme dirait
l'autre). Le hasard, la négligence ou bien des gestes calculés
(fort probablement les trois) ont fait en sorte que je me suis sentie
muselée à plusieurs reprises et de multiples façons, que ce soit
par les « oublis » ou omissions d'envoyer des
informations cruciales aux membres via la liste de courriel, ou par
la demande systématique de la question préalable en assemblée, ou
l'appel à la direction du programme pour intervenir dans la
démocratie étudiante, ou la suppression de mes publications
Facebook ou le détournement de mes interventions par toutes sortes
de procédés rhétoriques (utilisation de sous-entendus qui ne
permettent pas de réponse directe, affirmation que la personne n'est
pas la seule à penser ce qu'elle dit/écrit, dramatisation et
victimisation, personnalisation du débat, fausses accusations,
généralisations à outrance, sophismes, etc.) et, évidemment, par
ignorance (ou déni, quand c'est volontaire). Ces procédés
empêchent la circulation et le partage des idées dans un débat
sain.
De
mon côté, c'est ce que j'ai toujours espéré : un débat. On
a pourtant eu de belles assemblées où j'étais très fière des
discussions lors des votes ou des plénières, où je sentais qu'on
allait quelque part ensemble, qu'on faisait équipe et qu'on
travaillait à chercher un consensus. J'avais eu des exemples de
débats si inspirants au sein des congrès de la CLASSE! Toutefois,
quand les obstacles sont tombés les uns après les autres et
que le dénouement de la lutte est devenu incertain, j'ai
vu les débats s'envenimer et entendu des personnes chercher à
cracher du venin sur les autres. Dans ces moments-là, j'ai eu des
pensées condescendantes envers mes pairs que je m'empressais de
chasser ou de justifier, parfois par des explications toutes aussi
condescendantes mais peut-être plus près de la vérité. Je vous
jugeais et je m'en voulais de le faire. Au nom des mêmes valeurs –
solidarité, partage, entraide – nous prônions des comportements
opposés!
Quand
j'ai entendu les témoignages – certains m'ont réellement émue –,
je me suis surprise à penser que nous étions en train d'oublier
notre lieu de naissance, notre chance indiscutable, notre confort,
même dans la pauvreté, qui nous permet d'avoir accès à l'eau
potable, au système de santé, à l'éducation, à des organismes
communautaires, à l'assistance sociale, etc. On ne cessait de nous
casser les oreilles avec les « conséquences graves qu'aurait
la grève pour certaines personnes », comme si elles étaient
supérieures aux effets de la hausse sur ces mêmes personnes...
Cependant, je vous rappelle que nous parlions d'une grève de
l'école, pas d'une grève de la faim! Cette victimisation m'a
profondément écœurée. Je voyais, là, les « enfants-rois »
que d'autres ont vu chez les grévistes. Je les voyais se plaindre
avec ferveur et craindre de perdre ce confort ou de bouleverser
l'ordre habituel des choses par une remise en question plus profonde
et plus systémique que la simple question de la hausse.
Puis,
je me suis rendue compte de la mentalité de Québec que je n'avais
jamais remarquée en 10 ans. Les commentaires ridicules que
j'entendais en passant sur la chaîne de Radio X ou au 93,3, je les
voyais érigés en arguments dans les couloirs, les assemblées, sur
Facebook. Les opinions des
têtes d'affiches de Quebecor – d'égale qualité à la médiocrité
du reste du journal juste bon à faire rouler l'industrie forestière
au Québec –, je les voyais devenir consensus au sein des adeptes
du prêt-à-penser. Enfin, la démagogie, les sophismes et les
procédés rhétoriques contaminaient nos débats comme ils le font
dans le reste de la ville, nourrissant les préjugés, toujours au
détriment des mêmes personnes. Quand une nouvelle sortait, le sujet
rebondissait dans nos assemblées et on nous apportait la solution
toute faite des grands médias. On nous parlait soudain du vote
secret, puis de battre la proposition à 50%, de la paix sociale, et
enfin de la trêve.
Cette
fameuse trêve a été la goutte qui a fait déborder le vase – pas
la trêve en elle-même, mais bien le processus qui a mené vers son
adoption. J'ai eu l'impression, avant même le début de l'AG, qu'il
y avait un certain consensus au sujet de cette proposition. De mon
côté, je respectais mes premières convictions : la situation
était la même, notre seule rapport de force demeurait la grève et,
bien sûr, toutes les autres perturbations économique et politique
possibles... J'avais entendu les médias encenser cette grève au nom
de la paix sociale à moult reprises, puis j'avais vu des
associations étudiantes prendre ce parti. Je m'attendais, vu les
situations précédentes, à ce que soit proposée cette option
presque dans les mêmes mots que les grands titres. Et de fait, ce
fut le cas. Cependant, je ne m'attendais pas à sentir un fort désir
de le part de l'assemblée de ne pas en débattre et de régler
rapidement la question. Je sentais que tous et toutes voulaient
quitter au plus vite. Une heure, des arguments douteux, et on levait
le camp!
Alors,
je me suis demandée et je me demande toujours : savions-nous
que nous votions non pas une trêve, mais bien la fin de la grève,
la fin de la GGI 2012, la fin d'un rapport de force si pénible à
ériger? En effet, nous votions une trêve jusqu'à la fin de la
session... Où serait le rapport de force en octobre, à l'aube d'une
nouvelle session, d'une nouvelle cohorte et de la possibilité pour
le gouvernement (nouveau?) de nous laisser traîner encore quelques
semaines si on reprenait la grève à ce moment-là? Était-ce un
compromis savamment fignolé par les tenants du carré vert? En
effet, les pro-hausses et les contre-la-hausse-contre-la-grève se
montraient soudain très conciliants et prêts à voter une trêve...
Savions-nous que, historiquement, ces mouvements ne reprennent pas
facilement et que plusieurs années peuvent suivre avant qu'une
nouvelle cohorte daigne lancer le combat? D'autant plus que, grâce à
notre résignation, il y aura désormais un précédent en matière
de nombre de semaines, de risque de perte de sessions, d'accusations
au criminel, de blessé-e-s graves, et de lois spéciales qui en
décourageront plusieurs. La possible annulation de notre session
n'était-elle pas la plus grande crainte de notre association? Ou
bien, était-ce précisément l'idée de ne jamais reprendre la lutte
qui rendait la foule si enthousiaste au sujet de la
« très-entre-guillemets-trêve »?
Ces
hypothèses me perturbent beaucoup. Il y a des réponses que je ne
veux pas avoir, surtout après avoir lu une proposition de sortir la
littérature et les étudiant-e-s qui l'étudient du monde dans
lequel ils et elles se déploient...
Une
chose est sûre, si je suis fière du mouvement en général, de mes
actions et de celles de beaucoup d'autres militant-e-s, de la
créativité des étudiant-e-s, de leur stratégie, des concepts
qu'ils ont ramené dans l'actualité (notamment le féminisme, le
colonialisme et le néolibéralisme) et dont il fallait parler, des
idées qui ont émergé des débats de la CLASSE, des nouvelles
amitiés qui sont nées aussi bien à Québec, au sein des études
littéraires ou à travers le Québec, je ressors très amère de mon
expérience avec l'ACELUL, des discours creux, des consensus véreux
et du manque d'esprit critique qui les produit.
J'imagine,
et ce sera avec un bonheur réciproque, que ceci est, pour plusieurs,
une lettre d'adieu. Pour les autres, je leur dis : « Ce
n'est qu'un début, continuons le combat! » Enfin, je termine
en affirmant haut et fort qu'il n'y a pas de gêne à imaginer que
les choses peuvent être mieux, différentes; c'est d'ailleurs notre
domaine d'études...
En
toute sincérité,
Finissante
en études littéraires
Université
Laval, Québec
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