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Grève étudiante : La construction de l'image de l'étudiant et de l'idéologie néo-libérale en éducation

Ce qui est intéressant avec la grève, et pour pallier aux frustrations que peut causer la monoparentalité pendant les études à temps plein quand on est très politisée et/mais qu'on n'a pas assez le temps de s'impliquer (dans le VRAI sens de "pas le temps", mais pas vraiment par manque de temps; je dirais, à cause des horaires de chaque membre de la famille), c'est qu'on peut suivre les débats dans les médias. Enfin, on peut suivre la droite néo-libérale en pleine propagande. Car la gauche, peut-être à cause de l'âge, utilise plutôt les médias sociaux et les blogs (dont je suis!) et n'a pas la fortune de Quebecor pour promouvoir une idéologie, ni ses moyens de diffusions.

Je vois déjà poindre les critiques : quelle propagande ? Ah, vous n'avez pas remarqué ? On peut faire le tour de cyberpresse (qui regroupe les grands quotidiens des villes québécoises) pour s'en convaincre. Ah, vous avez noté autant d'articles en faveur de la hausse que contre la hausse ? Très bien. Attardons-nous à l'image véhiculée dans ces articles et au ton employé par leurs auteurs. 

Un article du 15 février tente de faire le tour de la question : "Droit de scolarité : La grève est-elle justifiée". Il est intéressant de voir les différents points de vue et photos côte-à-côte. Premièrement, le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Léo Bureau-Blouin, dont la photo enlève le peu de crédibilité que contenaient ses propos, axés sur le misérabilisme étudiant que dénoncera plus loin Marc Simard, professeur d'histoire au Cégep F-X Garneau. Je note que c'est le seul représentant des associations étudiantes post-secondaires (après tout, on n'est pas concernés!), où sont la FEUQ et la CLASSE ? Ensuite, vient la photo du recteur de l'UdeM, sérieux et crédible, dont le ton est tout à fait paternaliste lorsqu'il définit ce qu'est une grève (en fonction du fait d'être salarié... connaît-il les grèves de la faim?). C'est bien d'avoir un représentant de l'administration universitaire, mais où sont les groupes de recherches (IRIS, Simon de Beauvoir) qui ont des opinions diamétralement opposées et qui sont également crédibles ? Je saute le haut fonctionnaire qui ne répond pas véritablement à la question (sur la grève). Quand j'arrive au professeur d'histoire, Marc Simard, qui accuse les étudiants de corporatisme (de vouloir défendre les intérêts des étudiants au détriment de la majorité), je sens de la mauvaise fois et de l'irritation. Lui qui connaît son histoire, comment peut-il oublier qu'il a profité de frais de scolarité plus faibles que ceux que les étudiants auront à payer avec la hausse ? Il ne voudrait pas payer pour les enfants que sa génération a mis au monde et qui veulent désormais s'éduquer, comme il n'a pas voulu payer pour ses parents après leur retraite (alors que ceux-ci avaient payé la retraite des leurs), mais il était content de se faire payer son mariage et ses meubles par sa famille comme il était coutume au Québec pour nos grands-parents et pour nos parents.

Ah! cette génération de babyboomers, ils ont dicté l'économie et les mouvements sociaux à cause de leur avantage numérique, ils (et leurs parents) ont instauré les grandes valeurs québécoises (accès à l'éducation et à la santé pour tous, assurance-chômage, nationalisation, etc.), mais quand c'est le temps de répandre leurs acquis aux suivants, ils ne veulent pas partager, ils disent que "les temps ont changé" (bien sûr, le gouvernement - eux - n'a pas épargné l'argent de leur retraite qu'ils ont pourtant gagné en travaillant), qu'il est temps de faire notre "juste part" (voir le calcul très intéressant de cette juste part générationnelle). Pareillement, ils ont connu la sécurité d'emploi (c'était quoi, ça, déjà ? une espèce en voie d'extinction ?) et ils nous reprochent de défendre la conciliation travail-famille (d'en abuser, en fait); ils ont droit à la liberté 55 et ils nous reprochent de ne pas vouloir payer leur retraite (qui, avec l'espérance de vie, pourrait équivaloir à leurs années de travail sur le marché... impossible alors qu'ils aient payé leur "juste part" de cette retraite, à moins d'avoir mis la moitié de leur salaire annuel de côté!). Bref, si les temps ont changé, je voudrais bien savoir qui sont les corporatistes dans cette histoire... 

De son côté, Claudette Carbonneau, ex-présidente de la CSN, pose une question intéressante, celle que l'on devrait se poser d'emblée, mais qui n'apparaît nulle part dans les discours néo-libéralistes : Pourquoi devrions-nous viser la même chose que le reste du Canada quand nous passons notre temps à faire à notre façon (la langue officielle! l'environnement!) ? Il n'y aurait qu'un domaine où il faudrait être "proud to be Canadian" et ce serait l'éducation ? Cependant, en ce qui a trait à l'image, les syndicalistes n'ont pas bonne presse. Aux yeux de l'opinion publique, ce sont des voleurs, des brutes (FTQ) et ils abusent des salariés à la manière des patrons. Tout le monde oublie son histoire, même Marc Simard : les apports fondamentaux des syndicats en matière de santé et de sécurité au travail, de salaire (reconnaissance), de conditions de travail et de conciliation... Mais les temps ont changé, ne l'oublions pas. L'Histoire a changé, la gang de grand-papas parvenus occupant des professions libérales et administratives nous font la morale dans les journaux à ce sujet. Ne demandons pas ce qu'ils ont obtenu ! 
Parlant de professions libérales, Denis Boucher, d'un cabinet de relations publiques, nous avertit à son tour que la grève est nuisible. Mêmes arguments paternalistes : personne n'aime payer de l'impôt! Si ce n'était que ça ! Il se veut rassurant : en travaillant fort, nous reviendrons sur notre investissement (peut-être même que nous ferons de l'argent !$!). Ici, l'idéologie est écrite en lettres noires sur fond blanc : Travaillez, bandes de lâches, et vous prospérerez. Travaillez sans rémunération (bénévoles, mères et pères au foyer, étudiants), et vous périrez. Le système veut des individus salariés, pas des personnes, pas une communauté de personnes ayant des droits inaliénables (tiens, comme celui de s'éduquer). M. Relation publique devrait travailler son image pour être plus subtil et moins laisser transparaître ses croyances (non fondées, c'est un pléonasme, si je l'ajoute, mais c'est au cas où le sens du mot serait mal compris) sous le couvert d'un argumentaire vide. 

Ai-je besoin de faire le tour ? Un philosophe nous soutient, un PDG nous sermonne, une avocate joue l'avocat du diable (sur un ton de "je me souviens", mais "j'ai mûri"), le PDG de l'Institut économique de Montréal fait une analogie douteuse avec les gagnants de loto, un économiste nous demande d'être solidaire et de croire (d'avoir la foi) en notre système tout en se fourvoyant dans son argumentaire - oups! - en nous proposant des droits de scolarité à la baisse (les années 70 où le coût des études diminuent progressivement par rapport à 1968 où les frais étaient les plus élevés), un professeur à l'ENAP parle d'éducation comme d'un investissement rentable (connaît-il les débouchés en littérature ? j'aimerais bien les connaître, moi aussi, je veux faire un million!), un président d'une entreprise d'investissement nous demande de laisser l'Éducation entre les mains de l'Économie (ô déesses irréconciliables!). Qui sont donc représentés le plus ? Les professions libérales (avocat, médecin) et les professions administratives (directeur, pdg, associé)... Où sont les sociologues, les profs, les féministes, bref, ceux que l'on aurait traditionnellement trouvé au côté du philosophe pour supporter la cause ? On ne diffuse pas leurs voix. Que connaissent ceux qui s'expriment dans l'article en matière d'éducation ? Quelles sont leurs valeurs ? Facile, relisons : investissement, argent, profit, rentabilité, avenir, retraite, foi, morale, justice, paternalisme... Quelqu'un a parlé d'instruction ? d'équité ? d'égalité ? de savoirs ? de bonheur ? de société (au sens de "social", et non de marché, ne nous méprenons pas, ça devient mêlant cette idéologie envahissante qui pervertit le sens communs des mots les plus simples!) ? de droit ? Ah, ben non ! Les deux camps parlent de responsabilités, mais ne s'entendent pas si elles doivent être individuelles (les jeunes qui veulent étudier) ou collectives (tout le monde, ceux qui ont étudié ou pas, ceux qui vont étudier ou pas).

À travers cet article : des chiffres. Des statistiques impossibles à comprendre pour la population moyenne (dont 40% ne peut pas lire un journal, ne l'oublions jamais! faute d'éducation) : une augmentation de 75% des frais de scolarité, une dette moyenne de 14 000$ (ce qui veut dire, 28 000$ par couple, et c'est une moyenne, la dette maximale au premier cycle étant de 30 000$, donc 60 000$ par couple, excluant les cartes et marges de crédit, les paiements de voiture et éventuellement l'hypothèque). Des arguments contradictoires dans des bouches dont l'autorité n'a pas le même poids : toutes les études confirment qu'une hausse de frais de scolarité réduit le nombre d'inscriptions (Bureau-Blouin, étudiant au Cégep) versus aucune donnée empirique ne démontre un lien entre augmentation des frais scolaires et décrochage (Simard, professeur d'histoire). "Qui dit vrai ?" Et donc, qui dit faux ? Nous sommes chanceux, parmi tous les exemples de hausses qui créent le décrochage, on a trouvé un exemple d'une hausse qui n'a pas eu d'impact sur le décrochage (la Nouvelle-Écosse, ah!, si on ne l'avait pas eu, celle-là!). En plus, on galvaude des statistiques de provinces en provinces alors qu'elles ne se comparent pas (les études post-secondaires ne sont pas pareilles dans toutes les provinces, au Québec, on a un Cégep et ça mélange les données).

Pour en revenir au traitement du mouvement étudiant, comparons deux articles : le premier présente la grève étudiante, "Une grève inutile", le deuxième présente un individu à la tête d'un mouvement en faveur de la hausse, "Des étudiants en faveur d'une hausse des droits de scolarités". Dans le premier, le titre ne laisse aucun doute sur le parti pris de son auteur. La photo présente d'ailleurs un moment de violence dans le mouvement de grève (ce qui est typique des médias lorsqu'ils traitent de la grève, systématiquement, ils focalisent leurs caméras sur les affiches ridicules, les méfaits et les débordements). En agrandissant la photo, je ne peux pas voir, malgré toute ma bonne volonté, de mouvement violent à travers le poivre de Cayenne. Mais le symbole est clair : mouvement = violence. Déjà que c'était nuisible ! D'un autre côté, le second article présente une jeune étudiante, jolie, l'air sérieux, noble, dont l'histoire en est une de combat (combat pour avoir accès aux études, pour l'accès aux bourses et pour la réduction de l'accessibilité aux études). Ici, on a une construction de l'ethos qui va jusqu'au nom du Mouvement des étudiants socialement responsables. Lire ici : les autres sont socialement irresponsables. Et j'ajouterai que le mot "socialement" doit être pris dans le sens de "économiquement" qui réduit le social à une seule de ses palettes : le travail salarié. Cette notion revient dans l'argumentaire de l'étudiante : elle a travaillé pour payer ses études et obtenir des bourses. Lire ici : le riche n'a pas à travailler pour payer ses études, mais le pauvre, oui. Et lire : le riche n'a pas à maintenir d'excellentes notes pour recevoir des bourses alors que le pauvre, oui. Enfin, lire : les inégalités sociales n'empêchent pas l'égalité d'accès à l'éducation. C'est comme la victime qui tombe amoureuse de son bourreau, un phénomène psychologique reconnu... existe-t-il un désordre semblable pour les classes sociales inférieures devant l'élite ? Il semblerait que oui : le syndrome du larbin ! Si le cheminement de Gabrielle Brisebois est honorable et puisque je ne vois aucun intérêt à m'en prendre à sa personne ni à sortir du débat d'idées pour tomber dans la médisance et le "salissage", il faut remarquer qu'aucun étudiant s'opposant à la hausse n'a eu droit à un tel portrait dans un journal ! Même que notre portrait n'est généralement pas flatteur : hippies, artistes (au sens péjoratif, celui de non légitimé), sans plan de vie, au crochet de leurs parents, vivant la grosse vie (sale) et possédant un i-phone (ô ultime symbole de richesse, l'équivalent de la Porsche pour les 50-65 ans semble-t-il, preuve de la construction médiatique de l'image de l'étudiant gâté pourri et mécontent malgré tout), bref, jeunes et irresponsables. 

Derrière ce débat, je vois beaucoup de mauvaise foi et de croyances (ce qui serait de la mauvaise foi inconsciente). D'abord, les arguments en faveur de la hausse tiennent de grands mythes que l'élite aimerait bien que l'on entretienne dans une société peu éduquée où le marché représente une entité tandis que les entreprises sont des personnes morales et que les personnes sont des salariés (ou ne sont pas!). Ainsi, on parle de marchandisation de l'éducation, on crie "vive le marché"; laissons les universités se faire de la concurrence et dispenser une éducation "cheape" à prix fort; laissons-les décider quels domaines sont utiles et lesquels ne le sont pas (philosophie, histoire, littérature, anthropologie, sociologie et les arts en général). 

Pourquoi Ô Maître Marché (Maistre Marché, c'est vintage!), refuse-t-on de te faire confiance, nous, les jeunes écervelés et inexpérimentés, nés de la dernière pluie ? Pourquoi, à la demande des économistes devenus experts en développement social durable, refuse-t-on de marchandiser le savoir comme on le fait dans la société avec les brevets et les services essentiels ? 

Pourquoi voudrions-nous prendre en main notre avenir en développant notre intellect, notre culture et notre créativité alors que la société attend des économistes néolibéraux gonflés aux mythes bons marchés, des pseudo-philosophes du marketing pour conceptualiser l'obsolescence programmée, des vendeurs de cochonneries fabriquées avec des produits toxiques par des enfants affamés dans des usines mal éclairées qui seront ensuite jetées dans les bidonvilles indiens et des consommateurs irresponsables ? Ils ont raison, les papis... dans un tel monde, à quoi bon s'instruire ? Ça fait 26 ans que je vis dans VOTRE monde. Puis-je maintenant proposer mes idées, ou suis-je encore trop jeune pour être acceptée et prise au sérieux sans qu'on me parle sur un ton paternaliste, qu'on limite la diffusion des arguments qui sous-tendent ma cause (et qui en montrent toute la logique et le sérieux) ?  

Si les papis font la sourde oreille, il faudra parler plus fort...

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